“Lumen”
2012-2019
Cycle intitulé “Lumen”, fut créé dans les années 2012-2019 et comprend 26 gravures en noir et blanc réalisées dans la technique de la giclée « Art print », sur du papier FineArt mat sans acide, au format 50 x 70 cm.
L’histoire de ces gravures est complexe. Au début des années 1980, lors d’une de mes visites au Centre des Pratiques théâtrales Gardzienice, j’ai eu l’autorisation de photographier le spectacle Avvakum. Les acteurs se déplaçaient sur la scène dans l’obscurité, éclairés par la seule lumière des bougies et des torches. J’ai réussi à capturer des poses et des gestes inhabituels des personnages émergeant de l’obscurité.
Beaucoup plus tard, j’ai retrouvé ces négatifs oubliés et, pendant deux ans, je les ai travaillés en sauvegardant les images qui étaient en train de s’effacer tout en les retouchant. À partir des négatifs sélectionnés, j’ai créé de nouveaux espaces et de nouvelles compositions.
Il n’a pas été facile de trouver le bon papier et la méthode d’impression adéquate permettant d’obtenir l’aspect du velours noir profond qui domine dans mon œuvre.
Bogusław Deptuła
“Lumen ou bougie”
Sortir de l’obscurité, soumettre au regard, rendre visible, c’est créer, créer encore et encore. La lumière dramatique d’une bougie disperse les ténèbres d’un espace réduit. La puissance de la lumière y est limitée, chancelante, chétive, invariablement menacée, un cercle étroit de vie dans l’immensité du néant sombre et vorace ; il suffirait d’un souffle un peu fort et c’est le néant à nouveau.
L’obscurité absolue, nous sommes en mesure de la concevoir car nous l’avons vécue plus d’une fois, à différents moments de notre vie. Mais de l’autre côté, est-ce la clarté absolue ? Il nous est impossible de l’imaginer car ce serait alors l’aveuglement, une façon différente de ne pas voir, un état de l’éclat excessif, mortel, celui de la dissolution, d’une autre disparition car dans la clarté.
Tout ce qui est entre ces deux absolus constitue l’espace de notre vie quotidienne mais également de notre exploration de l’art. Ne nous leurrons cependant pas, ce qui est le plus intéressant c’est la mince frontière entre le visible et l’invisible. Des formes, pas encore totalement reconnaissables, surgissent de la lumière pour se dessiner devant un regard perdu et incertain. Les spectacles de Leszek Mądzik dans son théâtre étaient conçus sur le même principe. Le spectateur s’y trouvait comme piégé dans l’obscurité, torturé par des sons d’origine inconnue. Situé dans un espace théâtral, il semblait en apparence protégé sans l’être vraiment. La lumière diffuse, à la limite du visible, ne garantissait pas avec certitude les formes et les contours émergents doucement ni non plus les événements lents dont nous étions témoins.
Au théâtre de Gardzienice, les spectacles avaient été pensés différemment. Dans “Avakum”, la bougie revêt presque la fonction d’acteur lorsque le visible n’apparaît que dans un cercle étroit de sa lumière. De façon dramatique, mais aussi incertaine. La bougie est fixée à dessein dans une miche de pain, tel un chandelier qui donne la vie, un récipient de lumière dissipant l’obscurité. Les photographies d’Antoni Rodowicz saisissent ce phénomène de dispersion momentanée de l’obscurité, celui d’une clarté fugace et dramatique, d’une clarté incertaine, limitée, unilatérale, et cependant spectaculaire, triomphante. Au départ, il y eut des photos prises lors d’une représentation en 1984, des années plus tard elles ont donné vie à l’éblouissant cycle graphique “Lumen”.