Aller au contenu

“Mondes”

2000-2006

La série “Mondes” a été créée dans les années 2000 – 2006. La série comprend 20 œuvres colorées réalisées selon la technique de la giclée (art print). Pour les créer, j’ai utilisé les techniques du dessin, de la gouache, de l’aquarelle et de la photographie. Ce sont des impressions colorées dans lesquelles je construis un monde inexistant à partir de textures et de couleurs interpénétrées. Les titres font référence à des endroits où j’ai été et à ceux que j’aimerais être. Plusieurs œuvres de cette série ont été réalisées sous forme de panneaux lumineux.

previous arrow
Avola
Caldera
Chinon
Comogli
Chisasibi
Guerledan
Gotland
Terrano
Vega
Sandefiord
Pocatello
Sandi
Menuires
Tindari
Harris
Sambra
Quiberon
Jarbah
Kriti
Haviland
next arrow
 

Antoni Rodowicz

Varsovie, août 2012

Après une longue pause, le temps est venu pour moi de vous familiariser à nouveau avec le résultat de mon travail. Pendant ces années de silence, je n’ai pas quitté mon travail, notant mes idées et mes pensées. J’aimerais également vous parler de mon parcours créatif à travers le regard d’artistes et de théoriciens, dont les idées et la production me tiennent particulièrement à cœur. En effet, leurs propos abordent mieux et avec plus de précision les questions qui me préoccupent. 

Mon aventure créative, qui se poursuit encore aujourd’hui, a commencé lorsque, après avoir obtenu mon diplôme à l’Académie des beaux-arts de Varsovie, je suis entré à l’École nationale supérieure des arts visuels de La Cambre, à Bruxelles, en tant que boursier du gouvernement belge. Là, je me suis retrouvé dans l’atelier d’un membre de l’Académie royale, le professeur Gustave Marchoul (1924 -2015), qui m’a posé une question à laquelle je n’ai pas pu, au début, trouver de réponse intelligente ou noble : Pourquoi avais-je choisi l’art ? Ni le professeur Halina Chrostowska (1929 – 1990) ni le professeur Eugeniusz Markowski (1924 – 2015), les directeurs de mon diplôme à la Faculté des arts graphiques de l’Académie des beaux-arts de Varsovie, ne m’ont mis en capacité de réfléchir, et encore moins de formuler une motivation pour le choix d’un tel parcours de vie. Je pense que leur compréhension était évidente, puisque j’y avais consacré tant de temps et d’engagement. Alors, un peu confus, j’ai répondu : J’aime faire ça, c’est tout.

Aujourd’hui, après des années de travail, lorsque j’ai maîtrisé des techniques difficiles, je peux répéter ce que j’ai dit à l’époque : créer me procure un grand plaisir. Car y a-t-il quelque chose de plus merveilleux que de pouvoir matérialiser son imagination grâce au travail de ses propres mains, lorsque l’effet est proche de ce que l’on souhaitait ? M.C. Escher écrit dans l’introduction de son album : « …les reproductions de ce livre ont été réalisées dans le but de transmettre une pensée particulière. Les idées dont elles sont issues témoignent souvent de mon émerveillement et de ma rêverie sur les lois de la nature qui régissent le monde qui nous entoure. »  Cette conviction n’est pas étrangère à la plupart des artistes.

J’ai créé mes œuvres en séries, allant d’une douzaine à plusieurs dizaines d’œuvres. La création de chacune d’entre elles a été précédée de plusieurs années de collecte de matériaux. Entre 1983 et 1986, j’ai réalisé plusieurs dizaines d’estampes en techniques métalliques telles que l’offset, l’eau-forte, l’aquatinte, le relief, l’héliographie. Vint ensuite la série Couleurs (1988 – 1990). Elle se compose de 20 tirages réalisés avec des techniques mixtes dans un format de 40 x 50 cm. J’ai utilisé l’eau-forte, l’aquatinte, la photographie et la sérigraphie pour les réaliser. Cette série a été suivie d’une autre intitulée Traces et Signes (1994 – 1997). Cette série se compose de 48 tirages couleur au format 50 x 60 cm, réalisés à l’aide d’une technique mixte. J’ai utilisé l’eau-forte, l’aquatinte, la linogravure, la plaque de plâtre, la photographie, le relief et la sérigraphie.

Ces œuvres ont été créées à partir de dessins au crayon et à la plume, de reliefs, de gouaches, de photographies et de plaques de reproduction. Il s’agit d’impressions multicouches (maximum 7 passages) réalisées sur des papiers gravés, des papiers offset et des cartons blanchis. Cette série témoigne de ma fascination pour les signes cachés dans la nature qui, combinés aux traces cachées dans notre propre imagination, peuvent recevoir de nouvelles significations.

La réponse donnée au professeur Marschoul il y a des années était simple. Dans les textes que je lis, je trouve aussi une autre explication aux questions importantes que je me pose sur l’art et l’acte créatif.

« Le monde de l’art est circonscrit par le rayon de l’âme humaine. Partout où notre pensée ou notre sentiment s’étend, il y a un matériau créatif pour l’art. La réalité se reflète dans l’art. La réalité dans le sens de la connectivité du monde intérieur et du monde extérieur, du sentiment avec la pensée de l’esprit, de l’esprit avec les sens. » (Stanisław Witkiewicz, Monographies artistiques).

Comme il est rapide d’atteindre la réalisation de ses intentions ! Rilke décrit l’immensité du travail nécessaire pour y parvenir : »Ici, mes mots perdent leur force et retournent à cette grande connaissance à laquelle je vous ai déjà préparés, à la conscience de la surface, avec laquelle le monde entier a été délivré à cet art. Délivré, pas encore donné. Il a fallu (et il faut encore) un travail incommensurable pour le saisi »r (Rainer Maria Rilke, Rodin).

J’ai aussi besoin de ces mots pour envisager le doute dans le choix entre le mot et le signe. Tout mon travail, sans compter celui d’illustration, vit dans le monde de l’abstraction, du signe pris dans la nature. Même les titres que je donne aux séries et aux œuvres sont créés par des associations que je suis seul à connaître. Et comme c’est la première fois que j’expose mon travail sur les « mots », quelques questions se posent à moi.  Si l’on admet, à la suite d’Umberto Eco, que, comme dans son “Œuvre ouverte” :  «  Dans le domaine des stimuli esthétiques, les signes s’assemblent selon des habitudes enracinées dans la sensibilité de celui qui les perçoit (qui, bien que nous l’appelions goût, est une sorte de code, historiquement systématisé), que pouvons-nous dire de la perception des mots ? »  Karl Jaspers dans La philosophie de l’existence écrit : « Les signes sont arbitraires, inventés, définis dès le moment de leur création. Les mots ont une histoire, ils sont porteurs d’une richesse indéfinissable de significations, ils se développent dans l’usage. Les signes sont univoques. Les mots sont ambigus. »

Peut-être n’est-il pas pertinent de se demander lequel de ces deux domaines permet à un artiste de se rapprocher de son public ? Après tout, seule la musique restera un médium inégalé, grâce à sa multi dimensionnalité et à son caractère éphémère dans le temps.  Si, en revanche, nous sommes d’accord avec l’affirmation selon laquelle : « l’art est le produit d’une magie suggestive qui unit le sujet à l’objet et naît toujours sur la base d’un lien intime entre l’artiste et le monde extérieur » (René Dubos, Éloge de la diversité), alors toute personne qui parvient à rendre sa vision intéressante mérite l’attention.

Dans son “Traité de la peinture”, Léonard de Vinci écrit : « Entre l’imagination et la réalité, il y a le même rapport qu’entre l’ombre et le corps qui fait de l’ombre; le même rapport existe entre la poésie et la peinture. En effet, la poésie transmet ses objets à l’imagination par le biais de lettres, tandis que la peinture les place de manière réaliste devant l’œil, qui en saisit la ressemblance comme si elle était naturelle. La poésie, au contraire, les donne sans cette ressemblance, et ils ne passent pas dans la conscience par la force visuelle comme le fait la peinture. » Heureusement, l’usage du signe comme l’usage des mots nécessite un dialogue interne constant. Ce dialogue permet de nommer ou de montrer sa propre réaction à la réalité environnante.

« Dans “Réflexions et vérité”, Goethe écrit que tout ce qu’il a publié constitue des fragments d’une grande confession”. [L’impulsion d’écrire, il l’appelle ici le besoin de Goethe de “transformer en image, en poème” tout ce qui “lui plaisait, l’angoissait ou le tracassait d’une autre manière” et l’amenait ainsi à “se ressaisir” pour à la fois “améliorer sa perception des choses extérieures” et “se calmer intérieurement” » (Walter Hilsbecher “Tragisme, Absurdité et Paradoxe”).

Je dois vous faire part d’une pensée extrêmement obligeante contenue dans un sceau japonais qui m’a été offert il y a des années par Krystyna Zachwatowicz et Andrzej Wajda. En lisant les signes qu’il contient, on peut entendre des sons qui ressemblent à mon nom, et en même temps, le sens de ces signes forme la phrase Le dessin mène à la beauté.

Voici donc une autre citation. Le professeur Tatarkiewicz décrit l’ancienne attitude à l’égard du concept de beauté comme suit :  « L’esthétique classique part du principe que la beauté n’est pas créée uniquement par l’art ; avant que les artistes ne commencent à la réaliser dans leurs œuvres, elle était déjà présente dans la nature. L’univers est harmonieux, congruent dans toutes ses parties, clair et transparent pour celui qui le connaît. La beauté y est éternellement contenue. L’art ne peut et ne doit rien faire d’autre que de lire les lois de cette beauté dans la nature et de les appliquer à ses œuvres, c’est-à-dire d’imiter la nature. » (Władysław Tatarkiewicz “La voie de l’esthétique”.)

Depuis des siècles, on tente de remettre en cause ces thèses de la triade des valeurs de Platon. Stanislaw Witkiewicz a écrit dans “Les Monographies artistiques” : « Les notions erronées sur l’art, qui se sont exprimées dans le nom même de la théorie de l’art : la science de la beauté, les notions erronées qui ont considéré cette beauté comme le seul contenu essentiel de l’art, enfermant le champ de son action dans des limites très étroites, ont influencé de profonds malentendus dans cette sphère de la vie mentale. Le choix de ce qui est beau doit donc être laissé au destinataire et ne pas être une hypothèse du créateur. »

Enfin, une dernière citation – une déclaration précise d’Eco, qui fait référence à la notion de monde fictif. Car que sont mes œuvres sinon de la fiction ? « Les mondes fictifs sont en effet des parasites du monde réel, mais ce sont des “mondes” qui mettent entre parenthèses la plus grande partie de ce que nous savons du monde réel ; ils nous permettent de nous concentrer sur un monde fini, fermé, très semblable au nôtre, mais ontologiquement plus pauvre. Comme nous ne pouvons pas dépasser ses limites, nous le pénétrons en profondeur […] ». J’ai lu ces mots il y a de nombreuses années et, fasciné par leur justesse, je les ai adoptés comme devise de mon travail. « Si les mondes fictifs sont si agréables, pourquoi ne pourrions-nous pas lire le monde réel comme s’il s’agissait d’une fiction ? Ou, si les mondes fictifs sont si petits et que le plaisir qu’ils procurent n’est qu’une illusion, pourquoi n’inventerions-nous pas des mondes fictifs aussi complexes, contradictoires et provocants que le monde réel ? » (Umberto Eco “Six promenades dans le monde de la fiction”).

J’espère que vous trouverez également une fiction matérialisée de votre monde dans les œuvres présentées ici.