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“Signes et traces”

1995-1997

Andrzej Wajda

Si j’avais à exprimer, à l’instar de Jacek Malczewski, ‘allégorie de la gravure moderne, je représenterais une femme, Muse assise sur deux puits. Dans le premier, elle trempe les pieds, ce qui signifie qu’elle puise l’inspiration et la matière de la vie…Dans l’autre, elle plonge les mains que traverse la force divine de généralisation et d’abstraction. Quelqu’un en plaisantant a demandé: Laver les pieds ou laver les mains?….Mais cette question est restée sans réponse. Et ce n’est que très rarement qu’on essaie dans la gravure moderne d’unir ces deux courants en un seul fleuve.

Antoni Rodowicz se lave les mains et se met à vaquer à ses affaires purifiées du quotidien, ce qui lui permet de plonger dans le monde de l’abstraction ou la technique et l’exploitation des matériaux et des couleurs deviennent le sujet d’un corps à corps artistique avec le monde. C’est un noble et bel objectif, surtout aujourd’hui où tant de théories, tant de pratiques politiques et sociales nous ont déçus. Seul l’œil ne nous a jamais trompés. A l’heure actuelle, le monde miroite et se colore plus que jamais, il vit de mouvement et de changement continuel des formes. Il n’est donc pas étonnant que ce phénomène attire tellement les artistes et les incite à poursuivre les performances de la technique qui sait le rendre le mieux.

"Sen ziemi"

"Tu travailles pour pouvoir aller au rythme de la terre et de l’âme de la terre. …lorsque vous travaillez vous accomplissez une partie du rêve le plus lointain de la terre qui vous fut destiné lorsque ce rêve naquit." — Khalil Gibran, "Prophète"

sérigraphie, 47x58cm, 1997r.

"Rêve de la Terre"
"Dzieci życia"

"Vos enfantes ne sont pas vos enfantes, ils sont les filles et les fils de l’appel de la vie à elle-même. Ils naissent grâce à vous mais non de vous. Et bien qu’il vivent avec vous, ils ne vous appartiennent pas." — Khalil Gibran, "Prophète"

sérigraphie, 40x57cm, 1997r.

"Enfants de la vie"
"Cierpienie"

"Votre douleur c’est la rupture de la coquille qui enveloppe votre. Entendement." — Khalil Gibran, "Prophète"

aquatinte + sérigraphie, 48x60cm, 1995/96r.

"Douleur"
"Tyran"

"Si c’est une injuste loi que vous voudriez abolir, cette loi avait été écrite sur votre front de votre propre main. Vous ne pourrez pas l’effacer en brûlant les livres de lois, ni en lavant les fronts de vos juges, même si vous déversiez sur eux tout une mer." — Khalil Gibran, "Prophète"

sérigraphie, 41x60cm, 1995/96r.

"Tyran"
"Świadek"

"…en vérité, c’est la vie qui donne à la vie, alors que toi imagines être donateur n’es que témoin." — Khalil Gibran, "Prophète"

sérigraphie, 40x58cm, 1997r.

"Témoin"
"Mrok"

"…la vie ce sont des ténèbres uniquement lorsqu’elle manque de courant interne." — Khalil Gibran, "Prophète"

sérigraphie, 39x58cm, 1997r.

"Ténèbres"
"Czas"

"Du temps vous voudriez faire un torrent sur le bord duquel vous pourriez vous asseoir pour observer son cours. …aujourd’hui n’est que le souvenir d’hier, et demain – le rêve d’aujourd’hui." — Khalil Gibran, "Prophète"

sérigraphie, 40x55,5cm, 1996r.

"Temps"
"Smutek"

"Lorsque vous êtes joyeux, regardez profondément en votre cœur et vous découvriez que ce qui vous a rendu triste n’est autre que ce qui vous remplit de joie maintenant." — Khalil Gibran, "Prophète"

sérigraphie, 40x55cm, 1996r.

"Tristesse"
"Uwolnieni z więzów"

"Vous serez libers quand vos journées seront remplies de soucis, de gêne ou de chagrin, et pourtant vous vous élèverez au-dessus sans être appauvris, et libérés des liens." — Khalil Gibran, "Prophète"

sérigraphie, 45,5x58cm, 1995/96r.

"Libérés des Liens"
"Sieć"

"…l’amour qui cherche autre chose que de découvrir son propre mystère n’est pas de l’amour, mais un filet jeté et seulement quelque chose sans valeur est pris." — Khalil Gibran, "Prophète"

eau-forte, aquatinte + sérigraphie, 40x58cm, 1995/96r.

"Filet"
"Ogniwo"

"On vous a dit que votre force, de même qu’une chaîne, est égale à la force du plus faible des chaînons; mais ce n’est que la moitié de la vérité, car votre force est aussi égale à la force du plus fort des chaînons." — Khalil Gibran, "Prophète"

sérigraphie + relief, 40x57cm, 1995/96r.

"Chaînon"
"Tajemnice dni i nocy"

"Vos cœurs connaissent en silence les secret des jours et des nuits. Vous aimeriez connaître en paroles ce que vous avez toujours connu en pensée." — Khalil Gibran, "Prophète"

sérigraphie, 40,5x59cm, 1995/96r.

"Secrets des Jours et des Nuits"
"Pieśń"

"…n’est grand que celui qui par la force de son amour transforme la voix du en un chant encore plus beau." — Khalil Gibran, "Prophète"

sérigraphie, 46x62cm, 1997r.

"Chant"
"Spokój"

"…et c’est seulement quand se fait en nous le vide et le silence que nous pouvons nous tenir droits, dans l’équilibre du calme." — Khalil Gibran, "Prophète"

eau-forte, aquatinte, 46x54cm, 1996/97r.

"Calme"
"Wolność"

"…vous ne saurez être libres que lorsque même le désir de parvenir a la liberté deviendra pour vous un harnais et que vous cesserez de parler de la liberté comme d’un but et d’un accomplissement." — Khalil Gibran, "Prophète"

sérigraphie, 44x63cm, 1995/96r.

"Liberté"
"Dusza"

"Votre âme est souvent un champ de bataille ou votre raison et votre bon sens luttent centre votre passion et votre appétit." — Khalil Gibran, "Prophète"

sérigraphie, 48x60cm, 1995/96r.

"Âme"
"Myśl"

"…la pensée est un oiseau de l’espace, mais bien qu’il sache déployer ses ailes dans une cage de mot, il ne peut voler." — Khalil Gibran, "Prophète"

sérigraphie, 51x68cm, 1994r.

"Pensée"
"Brzask serca"

"…si c’est pour votre soulagement que vous versez votre obscurité dans l’espace, de la même façon c’est pour vous un délice que vous exhalez l’aube de votre cœur." — Khalil Gibran, "Prophète"

sérigraphie, 50x65cm, 1994r.

"Aube du cœur"
"Wczorajszy dzień"

"…la vie ne va pas en arrière, ni ne se retourne sur le jour passé." — Khalil Gibran, "Prophète"

sérigraphie, 40x56cm, 1997r.

"Jour Passé"
"Piękno"

"La beauté n’est pas un désir, mais une extase. Ce n’est pas une image que vous voudriez voir, ni un chant que vous voudriez entendre, mais plutôt une image que vous voyez les yeux ferme et un chant que vous entendez les oreilles bouchées." — Khalil Gibran, "Prophète"

sérigraphie, 37x56cm, 1997r.

"Beauté"
"Milczenie"

"Tu ne pourras chanter vraiment que lorsque tu auras gouté aux eaux du fleuve du silance." — Khalil Gibran, "Prophète"

sérigraphie, 43x55cm, 1997r.

"Silence"
"Szczyt"

"…tu ne commenceras enfin à monter que lorsque tu auras atteint le sommet." — Khalil Gibran, "Prophète"

sérigraphie, 38x58cm, 1997r.

"Sommet"
"Przyjemność"

"Le plaisir est un chant de liberté. Mais lui seul n’est pas la liberté. Il est l’éclosion de vos désirs, mais il n’est pas leur fruit." — Khalil Gibran, "Prophète"

sérigraphie, 38x56cm, 1997r.

"Plaisir"
"Twój przyjaciel"

"Ton ami est la réponse à la question : « qu’est-ce que l’amitié ? » Il est un champ que tu ensemences avec amour, il est ta table car tu viens à lui quand tu as faim ou quand tu cherches la paix." — Khalil Gibran, "Prophète"

eau-forte, aquatinte + sérigraphie, 40x54cm, 1996/97r.

"Ton Ami"
"Radość"

"Lorsque vous êtes tristes, sondez à nouveau le fond de votre cœur et vous comprendrez qu’à vrai dire vous pleurez sur votre passée." — Khalil Gibran, "Prophète"

sérigraphie, 40x54cm, 1997r.

"Joie"
"Rozdanie"

"Est-il une chose que vous voudriez garder pour vous ? Un jour, tout ce que vous possédez sera distribué. Pour cela donnez-en des maintenant, pour que le moment de donner soit vôtre et non celui de vos héritiers." — Khalil Gibran, "Prophète"

eau-forte, aquatinte + sérigraphie, 39,5x56,5cm, 1995/96r.

"Distribution"
"Miłość"

"Quand l’amour vous fera signe, suivez-le, bien que ses chemins soient abrupts et difficiles. Et quand ses ailes vous envelopperont, cédez-lui, bien que le glaive dissimule dans ses ailes puisse vous blesser. Et quand il vous parle, croyez an lui, bien que sa voix puisse briser vos rêves comme le vent du Nord ravage un jardin." — Khalil Gibran, "Prophète"

sérigraphie, 43x55cm, 1996r.

"Amour"
"Lęk przed pragnieniem"

"Vous donnez peu en distribuant vos biens. Ce n’est qu’en donnant de vous-même que vous donnez réellement. Car la crainte de la misère c’est déjà la misère, tout comme la crainte de la soif devant puits plein, est déjà une soif non étanchée." — Khalil Gibran, "Prophète"

sérigraphie, 49x59cm, 1997r.

"Crainte de la Soif"
"Przestroga"

"Si l’un d’entre nous trébuche et tombe sur son chemin, il le fait en guise d’avertissement pour ceux qui le suivent ou pour ceux qui l’ont précédé et qui n’ont pas écarté la pierre saillante." — Khalil Gibran, "Prophète"

sérigraphie, 24x35cm, 1997r.

"Avertissement"
"Duch śmierci"

"Si vous voulez vraiment contempler l’esprit de la mort, alors ouvrez grand votre cœur au corps de la vie." — Khalil Gibran, "Prophète"

sérigraphie, 39x58cm, 1997r.

"Esprit de la Mort"
"Dobroć"

"…la bonté qui se contemple dans un miroir, se transforme en pierre." — Khalil Gibran, "Prophète"

sérigraphie, 40x60cm, 1997r.

"Bonté"
"Skryte przyzwolenie"

"Tout comme une feuille jaunit avec la permission tacite de l’arbre entier, celui qui fait le mal ne peut pas le faire sans la permission tacite de nous tous." — Khalil Gibran, "Prophète"

sérigraphie, 40x60cm, 1995r.

"Permission cachée"
"Pragnienia"

"L’amour n’a qu’un seul désir : celui de s’accomplir. Mais si tu aimes quelqu’un et que tu doives désirer quelque chose, que ce soient tes désirs. Pour se fondre et devenir comme un torrent rapide qui chante se mélodie à la nuit. Pour connaître la douleur de trop tendresse." — Khalil Gibran, "Prophète"

sérigraphie, 42x57cm, 1995/96r.

"Désirs"
"Korzenie zła"

"Et si l’un d’entre vous voulait punir au nom de la justice et plantait la hache dans l’arbre du mal, qu’il en considère aussi les racines." — Khalil Gibran, "Prophète"

eau-forte, aquatinte + sérigraphie, 45x58cm, 1995/96r.

"Racines du Mal"
"Wspomnienia"

"Avez-vous la paix, cette impulsion modérée qui dévoile votre puissance ? Avez-vous des souvenirs, ces voutes luisantes qui surplombent les sommets de l’esprit?" — Khalil Gibran, "Prophète"

eau-forte, aquatinte + sérigraphie, 39,5x56,5cm, 1995/96r.

"Souvenirs"
"Głód i pragnienie"

"…qu’est-ce que le mal si ce n’est le bien torturé par sa propre faim et sa propre soif?" — Khalil Gibran, "Prophète"

sérigraphie, 46x61cm, 1996r.

"Faim et Soif"
"Życie i śmierć"

"…la vie et la mort sont un, tout comme un sont le fleuve et la mer." — Khalil Gibran, "Prophète"

sérigraphie, 39,5x66cm, 1995/96r.

"Vie et Mort"
"Dawanie"

"…pour le fruit donner est un besoin comme recevoir est un besoin pour la racine." — Khalil Gibran, "Prophète"

sérigraphie, 40x54cm, 1997r.

"Donner"
"Marzenia"

"… en rêve tu ne peux pas t’élever au-dessus de tes achèvements ni tomber plus bas que tes échecs." — Khalil Gibran, "Prophète"

sérigraphie, 42x58cm, 1997r.

"Rêves"
"Niewinność"

"Mais lorsque vous construisez des tours de sable, l’océan apporte davantage de sable au rivage. Et lorsque vous détruisez les tours, l’océan rit avec vous. En vérité, l’océan rit toujours avec les innocents." — Khalil Gibran, "Prophète"

sérigraphie + relief, 46,5x57,5cm, 1997r.

"Innocence"
"Słabość"

"…ce qui semble le plus faible et le plus confus en vous est le plus fort et le plus déterminé." — Khalil Gibran, "Prophète"

eau-forte, aquatinte, 41x57cm, 1996/97r.

"Faiblesse"
"Wizja 1"

"…la vision d’un homme ne prête pas ses ailes à un autre homme." — Khalil Gibran, "Prophète"

eau-forte, aquatinte + sérigraphie, 39x57cm, 1995/96r.

"Vision 1"
"Wizja 2"

eau-forte, aquatinte + sérigraphie, 39x57cm, 1995/96r.

"Vision 2"
"Wizja 3"

eau-forte, aquatinte + sérigraphie, 39x57cm, 1995/96r.

"Vision 3"
"Ziemia"

"Et n’oubliez pas que la terre se réjouit sous le toucher de votre pied nu, et les vents joueraient volontiers avec vos cheveux. La terre vous livre ses fruits et vous ne connaîtrez pas la misère si vous savez comment remplir vos mains." — Khalil Gibran, "Prophète"

sérigraphie, 40x54cm, 1996r.

"Terre"
"Owoce"

sérigraphie, 40x54cm, 1996r.

"Fruits"
"Wiatr"

sérigraphie, 40x54cm, 1996r.

"Vent"
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Mariusz Łukasik

Si l’on voulait décomposer en éléments ce qui constitue la personnalité d’Antoni, il n’y aurait pas moyen de les rassembler à nouveau… Il est en même temps une personnalité riche et un artiste intéressant qui joint habilement la responsabilité pour son entourage à la passion du travail. Une telle attitude pourrait se résumer par l’esthétique d’une existence positive. La nature crée parfois de tels caprices, espèces rares dont l’approche demande beaucoup de prudence, car ces phénomènes sont pourvus d’une délicatesse innée. Ce n’est donc point un paradoxe : la sensibilité a dû s’accompagner du sens de la réalité, autrement il serait impossible de survivre. Ceci dit, Antoni est une nature ouverte ; il s’intéresse au travail des autres, préférant plutôt comprendre que de juger.

Jerzy Brukwicki

Antoni Rodowicz a fait ses études lors d’une période particulièrement importante pour la Pologne. C’était l’époque d’une leçon accélérée de démocratie, l’époque où Solidarność est née. Nous avons vécu alors des moments d’enthousiasme, de joie, d’espérance. Lorsqu’ Antek préparait son diplôme, l’état de siège a été instauré. Ces deux événements ont influencé d’une manière très forte sa vie,  sa sensibilité, son œuvre.

Comment se résigner au caractère restreint de l’homme? Comment sonder son destin? Comment expliquer la nécessité de la souffrance? – Cette sorte de questions préoccupait souvent l’artiste à ses débuts. Il y répondait par le biais de ses œuvres, impitoyables commentaires de la réalité de l’époque, dévoilant les épreuves de personnes seules et trahies, empêtrées dans des situations dramatiques, uniques. Elles parlaient du sens et des valeurs de la vie, de différents comportements et liens entre les hommes. Elles stigmatisent la violence, présentent la lutte entre le mal et le bien, la vérité et le mensonge, la droiture et la malhonnêteté. Antoni Rodowicz a vécu cette période d’une façon très intense. Il travaillait, participait au mouvement artistique indépendant. Toujours à la recherche de la vérité sur la vie, sur l’homme, il a créé une vision de problèmes importants qui préoccupent l’homme d’aujourd’hui, ceci sans jamais consentir à un compromis. Grâce à quelques-unes de ses œuvres à forte charge émotionnelle et intellectuelle, il a occupé une place particulière parmi les artistes qui ouvrent un chapitre intéressant et nouveau de l’art polonais.

L’année 1989 a marqué un tournant dans la vie (non seulement privée) de l’artiste. La nature, les structures d’un monde limité sont devenues le thème clé de son œuvre. Les nouvelles gravures d’Antek Rodowicz sont des paysages imaginaires, des images de la Terre vue depuis des milliers de kilomètres. Nous y retrouvons la matière insoumise de l’espace, de la lumière, du mouvement. Elles captivent par leur facture subtile, par des couleurs raffinées.

Antoni Rodowicz

Ceux qui recherchent dans la peinture ou dans la gravure une simple histoire font penser à celui qui attend de la littérature uniquement la trame à sensation. Si l’on voulait par exemple isoler chez Eco l’histoire et refuser fout ce qui rend son oeuvre fascinante, non seulement on refuserait ainsi l’intention même de l’auteur, mais ce serait se démunir de ce qui a le plus de valeur. Il en va de même pour la peinture ou la gravure. Je renverrais ceux qui ne cherchent que l’anecdote, à la photographie, et à la photographie réaliste seulement.

L’image représentée constitue le plus souvent un prétexte à la vision propre de l’auteur. Le tableau n’indique pas quelque chose d’autre que lui-même, mais il constitue une pseudo-présence de quelque chose qu’il contient en lui. (Metz). J’ai senti pour la première fois l’abîme entre le ,savoir” sur un tableau et son impact réel il y a vingt ans, à Paris. A la sortie de l’exposition de la peinture française du XIXe siècle, j’ai pris dans la main une carte postale avec la reproduction d’un tableau de Gauguin exposé au musée. C’est alors que j’ai compris que tout mon ,,savoir” acquis par le biais de reproductions, ne valait rien. Je me suis rendu compte pour la première fois du véritable impact de l’art.

Depuis longtemps je me suis amusé à découvrir dans la matière ambiante les traces d’une autre réalité. Dans le dallage fissuré,dans les murs lézardés des vieilles maisons, dans les arbres et jusque dans les nuages, je retrouvais des signes vivants de significations uniques. Et finalement, quelque temps après, j’ai commencé moi-même à créer de tels signes et à les pourvoir de leur propres significations.

Pourquoi Khalil Gibran? Le poème Le Prophète traitait des questions essentielles pour la vie de l’homme. Ce texte est devenu l’inspiration du cycle de gravures que je faisais à l’époque. Les fragments choisis ne constituent pas de commentaire,tout comme les gravures ne sont pas leur illustration. Je voudrais expliquer encore l’origine du sceau dont je signe mes gravures. Il est fait conformément à l’art de calligraphie japonais traditionnel. Il se lit, sonne comme mon nom. Il contient la phrase: “En dessinant, il aspire à la beauté”. Krystyna Zachwatowicz et Andrzej Wajda ont commandé ce sceau a une éminente artiste japonaise, Yoko Otake et me l’ont offert en 1990.

Wojciech Skrodzki

Le délice d’exhaler l’aube du coeur
La beauté n’est pas un désir, mais une extase.
Elle n’est pas l’image que vous voudriez voir,
ni le chant que vous voudriez entendre,
mais plutôt une image que vous voyez les yeux fermés
et un chant que vous entendez les oreilles bouchées.

Khalil Gibran

Tu te donnes beaucoup de peine, Antoni, pour atteindre le beau, voudrait-on dire en regardant les gravures d’Antoni Rodowicz. Car le Beau, élément essentiel de l’art dans la triade des valeurs De Platon: le Vrai, le Bon et le Beau, constitue le fondement de tout, mais dans l’œuvre de Rodowicz occupe une place privilégiée. Ceci situe l’œuvre de l’artiste dans une région axiologique précise, dans une région des valeurs qui est dans la vie artistique actuelle combattue de la façon la plus passionnée peut-être. Le fait de la contester est devenu aujourd’hui la force motrice de l’art, ce qui lui fait quitter le droit chemin. Or, il est très difficile de créer quelque chose de nouveau tout en respectant les principes axiologiques, tandis qu’il est extrêmement facile aujourd’hui de transgresser ces règles. Antoni Rodowicz a réussi à créer son œuvre en respectant les valeurs. Et l’expression, tu te donnes beaucoup de peine” n’est-elle pas dévalorisante pour la qualité de son art? L’on admet couramment que tout ce qui est bon devrait venir facilement et sans effort. Pourtant, ce n’est qu’une illusion. L’art demande un travail laborieux et régulier tout au long du processus créatif. Les gravures d’Antoni Rodowicz sont créées d’une façon particulièrement laborieuse, marquée d’une peine et d’un effort techniques extraordinaires. Mais qui restent invisibles dans le résultat final, et c’est dans cela que réside le mystère de l’art de qualité en général. Les gravures de Rodowicz semblent être exécutées d’un seul mouvement, sont homogènes dans leur matière, bien qu’elles cachent en elles beaucoup de secrets et de procédés techniques complexes. Le  dynamisme des formes, abstraites le plus souvent, de Rodowicz a un caractère très musical. Le fait de regarder ses gravures donne l’impression d’écouter une œuvre musicale. Les tensions réciproques des formes particulières forment une sorte de phrase musicale, représentent comme un contrepoint et ont le caractère d’une ligne mélodique. Ces formes ne sont pourtant pas de l’abstraction pure: il y a beaucoup de références aux formes de la nature, beaucoup d’entre elles sont pourvues d’une sémantique chiffrée, dissimulée. Elles sont marquées d’une tension interne et d’un drame qui est pourtant résolu dans la totalité du travail; et les œuvres particulières sont harmonieuses, équilibrées. Nous pouvons lire toute cette charge de tension et de dramatisme à travers une analyse attentive des formes qui sont très harmonieuses dans leur totalité. C’est dans les titres que nous pouvons retrouver la trace de cette tension qui a accompagné le processus créatif. Voici quelques exemples: Faim et Soif, Souffrance, Racines du Mal, Tyran, Désirs, Souvenirs, Temps… Ces quelques titres montrent que l’œuvre de Rodowicz n’a pas de caractère existentiel, mais qu’elle est d’une façon particulière et par excellence conceptuelle. Ce sont justement les concepts, les affaires les plus universelles qui constituent l’inspiration et le contenu de son art. Les sources d’inspiration des: Pensée, Terre, Fruits, Liberté, Ame ne sont rien d’autre. Les gravures d’Antoni Rodowicz se distinguent par une beauté raffinée des couleurs et des formes; c’est la perfection et la pureté du choix plastique, une certaine économie dans la construction de la forme. Toute son œuvre est remplie d’une philosophie particulière; tous les travaux en sont chargés depuis l’origine jusqu’à l’expression elle-même. J’irais jusqu’à dire qu’ils ont un caractère mystique. Ce mysticisme, cette philosophie, c’est la pensée de l’Orient, exprimée dans les œuvres de Khailil Gibran, poète, mystique et philosophe d’origine libanaise qui a travaillé aux Etats-Unis au cours des premières décennies de notre siècle (il est mort en 1931). Ses pensées sont devenues la nourriture spirituelle de l’artiste. Khailil Gibran a bien écrit: La vie et la mort font un, comme un sont le fleuve et la mer (…) …si c’est pour votre soulagement que vous versez votre obscurité dans l’espace, de la même façon c’est pour vous un délice que vous exhalez l’aube de votre cœur. (…), Vos cœurs connaissent en silence les secrets des nuits et des jours. Vous aimeriez connaître en paroles ce que vous avez toujours connu en pensée. (…) Du temps vous voulez faire un torrent sur le bord duquel vous pourriez vous asseoir pour observer son cours. …aujourd’hui n’est que le souvenir d’hier, et demain – le rêve d’aujourd’hui. (…), Et n’oubliez pas que la terre se réjouit sous le toucher de votre pied nu, et les vents joueraient volontiers avec vos cheveux.

Cette suppression mystique des différences et des oppositions caractéristiques pour la pensée européenne est un sol fertile où croissent les fruits du travail artistique d’Antoni Rodowicz.

Borys Czyzak

“Terre”
“Fruits”
“Vent”

L’art de Rodowicz est plein de sous-entendus. En regardant ses triptyques, nous voyons chaque jour quelque chose de différent – des pierres lavées par l’eau, des gouttes de pluie sur le trottoir, des miettes cosmiques suspendues dans l’espace. Chaque œuvre est différente – de la densité dynamique de l’œuvre violette aux formes diluées de l’œuvre verte, en passant par le vide ascétique de l’œuvre bleue. Chaque arrangement est ouvert, certains éléments s’échappant de la scène ; nous savons que nous ne regardons qu’une tranche de la réalité. Il n’y a pas de gravité à l’œuvre dans aucune des œuvres, la composition ne cherche pas à établir un centre de gravité, les formes flottent librement dans l’espace. En même temps, elles sont maintenues en équilibre par la tension entre elles, leur placement est très précis – aucune d’entre elles ne forme de ligne droite ou d’arrangement géométrique pouvant être tracé de manière répétitive, notre regard circule entre elles de manière totalement arbitraire, chaque regard empruntant un chemin différent. Parfois, il s’arrête sur un épaississement, mais il continue immédiatement, attiré par d’autres formes. Chaque élément est différent – les formes fuselées rappellent les pierres d’une plage, mais elles pourraient aussi être les cellules d’un organisme, des planètes, des reflets de lumière – c’est cet understatement qui est le plus intriguant dans ces œuvres. Et les espaces dans lesquels elles flottent apportent chaque jour de nouvelles associations, comme si nous étions face à la multiplicité des mondes postulée par Wolfgang Paalen et l’école de New York.